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GUBBIO 2015


De Giorgio Gonella Diaire du Chapitre


Ara

Un jour, dans la cour du couvent où nous sommes logés on entend un cri répété : "Jerry, Jerry, Jerry…". Qu’est- ce qui se passe ? Jerry a quitté sa maison, qui se trouve juste en face, et il est monté sur un grand sapin de 12 mètres : il ne veut pas descendre. Au coucher du soleil Bruno dit : "Je vais monter sur l’arbre". Nous ne pouvons pas croire qu’il fasse une chose si dangereuse. Une heure plus tard nous sommes au réfectoire et nous entendons des cris : "Bravo Bruno!". Nous sortons donc immédiatement et nous voyons que Bruno est monté jusqu’en haut et il a fait descendre Jerry, qui se trouve maintenant sur la pelouse de sa maison.

Il faut préciser que Jerry est un perroquet, de grandes dimensions, aux couleurs merveilleuses.

Un de nos groupes de travail a pour thème le partage de notre spiritualité avec les hommes et les femmes de notre monde actuel. Au début on disait : il nous faut partager notre spiritualité "avec les laïcs", mais ce mot "laïcs"est bien indigeste pour certains, car c’est un mot piégé qui trahit un cléricalisme à l’envers….

Ce thème est né suite au partage-révision de vie du début. Nous sommes fragiles et petits : nous vieillissons et il y a peu de vocations. Faut-il rester perchés sur notre branche comme Jerry, jaloux de ses belles plumes et faisant la sourde oreille aux appels ? Ou bien faut-il voir dans cette "pauvreté" un appel à nous ouvrir, à découvrir des nouveaux chemins de collaboration et de partage : avec des jeunes, des couples, des familles. Leur partager les trésors que nous portons dans nos vases d’argile, mais aussi nous appuyer sur eux et nous faire guider et épauler par eux. Il y a des choses à inventer, des nouvelles structures mentales à développer, une "dépossession" de notre vie religieuse à faire.

Nous aurons un petit document qui nous aidera à réfléchir et à trouver des solutions sur place, dans le concret de nos réalités si différentes.


De nos relations avec les gens nous parle aussi Andreas dans un après-midi consacré au thème de l’amitié : il part faisant référence à la vie de Jésus (l’amitié qu’il donne et celle qu’il reçoit ; sa vocation d’hôte et de pèlerin), il parle ensuite du célibat (une vie d’amour) et de nos amitiés avec des femmes et des hommes... Après l’avoir écouté nous faisons une bonne révision de vie dans les petits groupes sur notre vie affective et les expressions de notre amour.

Gabriel

Pour nous faire mieux connaître un aspect fondamental de notre monde actuel Gabriel nous donne un topo sur l’impact de l’Internet dans la vie d’aujourd’hui. Il nous fait connaître le monde des jeunes qui vivent au rythme rapide des Twitter et des WhatsApp et qui se nourrissent de messages extrêmement brefs et sans aucune pause de réflexion. Cela façonne toute la nouvelle génération. Les repères vitaux sont dans le "web": un mode de relations horizontales sans aucune verticalité. Il s‘agit d’une génération qui vit dans l’insécurité et la crise, sans avoir les repères de l’Eglise, de l’école, de la famille. Ils ne rentrent pas dans une logique d’ "appartenance", mais vivent une multi-appartenance avec superposition d’expériences de vie.

Certains parmi nous ont l’impression de descendre sur une planète inconnue et inexplorée. Et pourtant nous sommes tous utilisateurs de l’Internet et Gabriel nous met en garde contre les risques que cela représente pour notre vie. Risquons-nous de perdre notre liberté?


* * *

A la fin de la première semaine de travail nous prenons un jour de "détente-désert": enfin certains parlent de désert et d’autres de détente. Il n’y a que les disciples de Charles de Foucauld qui trouvent leur détente dans le désert, et leur désert dans la détente. Histoire de fous !

la verna

Nous allons donc visiter La Verna, où l’on dit que François a reçu ses stigmates. Comment est née cette histoire des stigmates ? Frère Léon, l’ami "tout simple" de François, disait qu’à La Verna celui-ci avait des plaies purulentes. Ensuite Frère Elie, qui avait commencé à construire la basilique de Saint François avant que celui-ci ne meure (plus rapide que l’Opus Dei avec Escrivà de Balaguer !) commençait à dire que ces plaies avaient été envoyées par Dieu en direct, comme par une sorte de rayon Laser divin. Une historienne italienne a avancé l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de plaies produites par la lèpre, que François aurait contractée par ses longues fréquentations des lépreux. Notre guide Giuliano, sage et brillant, tout en disant que l’on peut croire ce que l’on veut, remarque que cette hypothèse de la lèpre est bien plus belle et parlante que celle du Laser divin...

En tout cas nous vivons une journée merveilleuse : le soleil et la lumière de l’Ombrie nous accompagnent et nous font sentir en communion avec ce "deuxième Christ" (Dante le définissait ainsi) qui appelait le soleil "frère et l’eau "sœur". Et la Terre était sa "sœur-mère".

Mic

Un autre mot clé de notre chapitre, ou plutôt une expression-clé, est "Laudato si’": une parole qui revient souvent dans les conversations et les prières. Le 20 Juin en effet nous recevons la visite de Michael Czerny, un jésuite qui nous a aidés dans le Chapitre passé. Cette fois-ci il nous présente la nouvelle encyclique de notre Francesco actuel, justement titré "Laudato si’". Michael fait partie d’une équipe qui a aidé le Pape dans la rédaction de ce texte.

Nous sommes touchés de près par les thèmes de cette encyclique : le respect de notre mère Terre, l’écologie, la participation aux mouvements qui veulent protéger la Planète, la simplification de notre vie, le lien entre la clameur de la Terre et le cri des pauvres (un lien sur lequel pape Francesco met un accent très fort et significatif). Il n’y aura pas de document sur tout cela, mais il faut savoir que c’est quelque chose qui touche une corde profonde de notre esprit.

Y aurait-il dans cette encyclique un autre appel pour nous? Notre spiritualité a été marquée par les mouvements ouvriers, la lutte syndicale des années 60 et 70, et ensuite par les mouvements de libération des années 80: il y avait là quelque chose de prophétique. Aujourd’hui peut être que nous sommes appelés à ajouter cette dimension à notre spiritualité, à l’intégrer comme essentielle et prophétique : le Pape nous montre le lien profond qui existe entre la lutte des opprimés et la question écologique. La pauvreté, si chère à François et à Charles de Foucauld, ne peut pas se passer aujourd’hui d’une dimension "écologique". Quelque chose qui devrait marquer les détails les plus ordinaires de notre vie la plus ordinaire. C’est un discours à suivre.

Saint François, aide-nous dans cette recherche !


Ricardo

Le Saint d’Assise est présent aussi, vers la fin du Chapitre, dans une représentation à laquelle Riccardo, un ami de Gubbio qui est acteur, nous invite : un mélange de textes improvisés, chants et musique. Riccardo cherche à décaper Francesco de toutes les auréoles et des tons douçâtres avec lesquels il est dépeint. On voit alors surtout l’homme: le riche commerçant, le pécheur bon vivant qui se laisse prendre presque malgré lui par un Dieu qui le visite "d’en bas" et qu’il reconnaît dans les pauvres "d’à côté". Aux gens de Gubbio François recommande le loup pour qu’ils le nourrissent. Il ne s’agit pas de détruire notre loup intérieur, mais plutôt de l’apprivoiser: il sera toujours là, mais il devient un compagnon.

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Gubbio

Notre première journée de "désert-détente" avait été une montée jusqu’au sanctuaire de Saint Ubaldo, le grand Saint de Gubbio. C’est un évêque qui a vécu au Moyen Age et qui est connu comme le Saint de la réconciliation. Nous entendons le récit de sa vie et de ses miracles par un ami religieux. Il est beau de découvrir qu’il y eut aussi un "miracle manqué", une guérison non-accomplie (accompagnée tout de même par une transformation de l’esprit d’un aveugle) : nous le sentons plus proche de nous, car notre vie est pleine de miracles non-accomplis…

Ubaldo est donc le Saint de la réconciliation : il mit tous ses efforts à réconcilier les aristocrates et les Bourgeois, mais aussi à réconcilier les innombrables factions qui divisaient l’Italie de l’époque.

Le mot "religion"vient du verbe "religere": re-lier, reconstruire les liens, remettre ensemble, refaire l’unité. C’est la vocation fondamentale des religions. En est-il toujours ainsi ? Ou bien nous faut-il un autre Saint Ubaldo ?


Le 23 Juin nous recevons une très belle visite de Maria Chiara, la responsable générale des Petites Sœurs de Jésus. Elle nous aide beaucoup avec son sourire et le partage sur deux thèmes qui nous ont touchés de près.

Chiara

Le premier thème est la situation du Moyen Orient. Elle nous confie pas mal de détails sur ce que vivent les petites églises du Moyen Orient. Elles sont vraiment menacées de mort. Il s’agit d’églises qui remontent au début de la chrétienté et qui portent des trésors : traditions, liturgies, cultures. La poussée expansionniste de l’Islam fondamentaliste est en train de leur donner un coup qui pourrait être mortel. Ce drame nous touche de près car il y a aussi beaucoup de Sœurs originaires du Moyen Orient et qui portent dans leur propre chair, dans leurs propres familles les "stigmates" de cette tragédie. On connaît pas mal de nouvelles que les Medias nous donnent, mais Chiara nous partage des détails humains touchants (des familles de réfugiés qui partent en différents pays car les visas sont donnés à l’aveuglette ; des chrétiens qui sont interpellés dans leur propre foi ; un chrétien auquel on avait tout pris et qui dit "Nous avons tout perdu, mais nous avons gardé la foi dans le Christ et cela est notre richesse").


La Fraternité vit depuis les débuts une proximité avec l’Islam: c’est quelque chose de précieux. Mais il nous faut aussi regarder avec réalisme la réalité politique et religieuse du fondamentalisme islamique actuel. Ses intentions expansionnistes sont réelles : elles font recours à la violence et jouent aussi sur une sorte de séduction spirituelle. C’est un défi à la démocratie, et une question fondamentale posée à l’Occident, aux chrétiens et au monde.

Que Saint Ubaldo, aide les religions à devenir à nouveau créatrices de liens et de communion.


Chiara nous partage aussi au sujet de la situation actuelle de sa Fraternité. Elle le fait avec un regard bien aigu et vrai, et aussi avec une grande clarté. Beaucoup des questions soulevées sont les mêmes que nous nous posons: comment vivre notre multiculturalité, comment assumer le déséquilibre des âges, comment réinterpréter les paroles fondatrices de la Fraternité, comment vivre les défis du tournant humain et spirituel qui est devant nous.


    Son mot final est un mot d’encouragement et d’espérance: l’aspect contemplatif de notre vie "tient" et donne de la signification à la quantité de défis qui nous font sentir faibles et menacés. Nous acceptons alors d’être pauvres à l’image de Celui que nous suivons.

Hervé


Tout au long du Chapitre nous avons aussi la présence d’Hervé, toujours fraternel et de bonne humeur. Le thème de la Fédération, dont nous faisons déjà partie, n’a pas été l’objet d’une réflexion de groupe. Nous avons vite vu que ce thème est une sorte de musique de fond qui touche à tous les autres thèmes. De la Fédération on en a parlé un peu partout. C’est désormais une réalité de notre présent qui touche à tout, …plutôt qu’un thème à part.


 ***

Un soir nous avons un bon temps de détente (pure détente cette fois ci, sans désert!), où nous pouvons apprécier les dons de Mario, le clown Sbiroulin. Bernard aussi nous fait certains de ses vieux numéros : celui de la tronçonneuse, celui du mime qui devait interpréter quelqu’un qui ne fait rien (facile à dire, mais difficile à faire!). On rit tous comme si c’était la première fois qu’on l’écoutait. Il y a des enfants dans l’assemblée, mais nous tous aussi nous nous sentons comme des enfants. Merci à Mario et Bernard de nous enlever quelques années, au moins pendant quelques instants, et de nous faire sentir plus jeunes. Nous en avons besoin ! N’est-ce pas?

A propos, ce thème de l’âge est un thème "chaud" dans notre fraternité. Au début on nous a bien rappelé ce que nous sommes à présent: 65 frères, âge moyen 66,4 et 1 novice. Depuis le début du Chapitre nous nous disons aussi qu’il faut regarder la réalité en face, mais sans se décourager ni exprimer des propos mortifères. Nous sommes bien vivants et nous vivons de très belles choses dans nos fraternités locales.

GroupeUn petit groupe travaille sur le thème spécifique des "Jeunes frères". Trois jeunes frères en font partie et il y a des beaux partages très réalistes, sans optimisme béat mais aussi sans se laisser prendre par le découragement.

Une expression revient souvent sur le tapis : il faut donner "un mot d’encouragement". Il faut permettre aux plus jeunes parmi nous de vivre les mêmes "expériences fortes"que les plus anciens ont vécues quand ils étaient jeunes.

Là aussi on a rédigé un petit document que vous lirez. Au début de chaque Chapitre on dit qu’on ne fera pas de longs documents, et puis à la fin on en fait toujours. Cette fois-ci c’est différent: vraiment il n’y en aura pas !

GotthardNous avons aussi parlé des Finances et nous avons pu admirer les qualités d’animation de Gotthard. Avec une série d’entonnoirs, d’arrosoirs et de boites en carton trouées il a rendu extrêmement simple pour nous des choses qui sont bien compliquées.

Il ne faut pas oublier non plus qu’auparavant nous avons eu aussi une journée de conférences et partages, guidés par Gaetano Sabatini qui nous a ouvert les yeux sur la réalité actuelle de notre monde, vue du point de vue de l’économie. Il le fit très bien, donnant à sa description une base historique qui aide beaucoup à comprendre où nous en sommes aujourd’hui. Notre présent est l’aboutissement du mouvement de dérégulation : l’état se retire et nous laisse dans les mains du marché privé, dont le seul but est d’augmenter des profits. Cela produit inévitablement des crises financières périodiques et la nécessité d’écouler les surplus à travers la guerre. Il est horrible de voir comment la guerre est devenue une nécessité économique. Il y a eu pas mal de références au Moyen Orient: véritable "tierra caliente" où se croisent des lourdes problématiques, économiques, politiques, religieuses et culturelles.


* * *

Une des grâces de ce Chapitre est celle de la présence à tous nos repas de différentes jeunes femmes, qui nous font la cuisine, avec leurs maris et leurs enfants. Cela nous aide vraiment à ne pas nous renfermer dans une atmosphère de vieux garçons, qui pourrait susciter de la claustrophobie spirituelle.

Familles
Ces ménages font partie d’un petit mouvement naissant (en liaison avec Spello, et surtout avec Yves, notre Prieur) : les "
Petites Familles". Ils nous expliquent tout, au cours d’une soirée où nous leur donnons la parole. Ils vivent une exigence de prière (des moments de prière silencieuse à l’intérieur de leur propre famille) et de sérieux engagements à côté des exclus. Ils envisagent la possibilité d’un certain partage de leurs biens. Ils se réunissent, avec d’autres familles du groupe, une ou deux fois par an selon les régions, car le mouvement inclut des familles de différentes régions d’Italie. Ils ont écrit une règle.

C’était vraiment beau de voir ce que ces gens cherchent et les nouvelles structures de vie qu’ils se donnent : une recherche ouverte, nouvelle, créatrice.

Notre troisième et dernier petit groupe de travail réfléchit à propos de certains points relatifs à nos propres structures et quelques normes des Constitutions qu’il faut changer. Nous partageons beaucoup sur la manière de renouveler le fonctionnement de notre fraternité centrale, pour qu’elle soit mieux adaptée à la réalité actuelle (notre petit nombre, les nouveaux moyens de communication, le bon fonctionnement des régions). La dernière équipe avait déjà introduit une nouveauté : la possibilité pour un des assistants de continuer à vivre dans sa fraternité pour une grande partie de l’année. Maintenant nous voulons donner à la nouvelle équipe la chance de s’organiser comme il leur parait mieux. Peut-être que tous les trois pourront continuer à avoir des moments de présence dans leur fraternité actuelle, alternés par des moments ensemble pour mieux exercer leur responsabilité. La norme qui disait qu’ils devaient "vivre sous le même toit" a déjà été changée.

Le Chapitre leur donne pleine liberté et a confiance qu’ils trouveront ensemble une nouvelle manière d’ "être fraternité centrale". La porte est ouverte: à eux de trouver le chemin

Bon courage Yves, Gotthard et Alex !

Trio


La fin du Chapitre est bien proche. Nous en sommes déjà à ébaucher des évaluations personnelles. Pendant le repas Gabriel dit: c’est un Chapitre qui a voulu être à l’écoute du monde d’aujourd’hui. En effet dans tous les thèmes que nous avons abordés il y a des expressions qui reviennent tout le temps: s’ouvrir, être créatifs, être à l’écoute, appuyer, s’appuyer, collaborer, dialoguer ; ne pas nous renfermer sur nous-mêmes, ne pas rester le regard fixé sur notre propre fragilité actuelle. Rester plutôt à l’écoute des attentes et des cris de notre monde: qu’il s’agisse d’écologie, d’économie, de prière, de l’islamisme, de nos structures. Demeurer avec les fenêtres toujours ouvertes.

Jerry, le perroquet, est vraiment un symbole négatif: à 12 mètres du sol, accroché à sa branche et sourd aux dizaines de voix qui lui lancent des appels. Nos guides sont plutôt François d’Assise, Ubaldo de Gubbio, Charles de Foucauld et François de Rome: ils nous veulent bien adhérant à la terre, les oreilles ouvertes aux voix de notre monde et les pieds bien posés au sol pour nous mettre en marche.