Diaire  de  Cochabamba  ( BOLIVIE )

(Patrick, Oswaldo, José-Luis, Andreas)

d'Andreas:

…Maintenant, nous avons une nouvelle et très belle maison qu'Oswaldo a construite. Notre nouvelle chapelle est très accueillante. Dans cette nouvelle chapelle le silence nous accueille: il nous invite à passer du sommeil aux yeux ouverts, de la fatigue au travail, de la solitude à la communication avec Dieu et avec les autres. Au centre, qui attire notre attention, il y a un "four" qu'Oswaldo a construit et qui ressemble aux fours de nos voisins... Notre "four" nous sert de tabernacle, pour déposer le Corps du Christ. Sommes-nous réunis pour nous réchauffer à sa Présence? Sommes-nous disposés à être cuits pour devenir pain pour les autres? Quelqu'un me disait que Sainte Thérèse parlait de l'amour de Dieu comme d'un four brûlant…

Après les laudes nous nous rencontrons dans la salle à manger. Souvent un voisin ou une voisine vient pour prendre une boisson chaude avec nous. Quelques fois nous écoutons les nouvelles à la radio pendant le petit déjeuner... A la fraternité nous parlons souvent de la situation actuelle, nous lisons les journaux et nous discutons avec les voisins, les amis, les collègues de travail. Notre vie quotidienne est affectée et pénétrée par la situation politique du pays: celle-ci est très fragile mais il y a un peu d'espérance.

 

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Visite de Joji

(Buletin nº 28)

Après le petit déjeuner nous allons au travail. Oswaldo va à l'université pour continuer ses études. José-Luis s'en va au centre des enfants aveugles où il est bien occupé à l'accompagnement des enfants. Patrick et moi allons à la "Cancha", comme s'appelle le grand marché de Cochabamba. C'est un monde où grouillent des milliers de vendeurs, clients, passants, porteurs… Il y a des petites boutiques: femmes qui font de la couture, hommes qui réparent les chaussures… Il y a des petits restaurants; on peut y manger toute sorte de nourri­ture. Il y a des enfants qui jouent et vendent de petites choses; il y a des femmes de la campagne qui offrent des brindilles de camomilles et des genêts. Il y a des mendiants. Finalement il y a beaucoup de ven­deurs ambulants qui offrent des sous-vêtements, des pinces à linge, des glaces, etc… Je travaille comme vendeur ambulant; je passe avec ma caisse pleine de yogourts entre les étals et les kiosques du marché en criant notre propagande : "¡De la vaca a la boca!"[1]

Les gens connaissent bien notre yogourt naturel, qui est très bon. Patrick le vend depuis cinq ans. Maintenant il a un kiosque avec un frigidaire plein de yogourts: il les vend et fait aussi un travail d'artisan (émail)… Cela me plaît de me promener avec ma caisse. Je rencontre beaucoup de gens. Quand ils me voient pour la première fois, ils me demandent: "Que fait un gringo à la Cancha?" C'est rare qu'ici un homme à la peau blanche et aux yeux bleus vende quelque chose de manière ambulante. Cela provoque beaucoup de questions et de discussions; ainsi parfois je peux expliquer un peu notre vie comme frères de l'Évangile.

 Les vendeurs ambulants sont les plus pauvres parce qu'ils n'ont pas de kiosques et qu'ils doivent se déplacer pour vendre. Je rencontre beaucoup de "collègues" qui vendent des glaces, des gâteaux, du pain, des crayons… Souvent nous parlons de la vente, du temps et de la vie. Un de ces collègues est un petit vieux qui vend des gâteaux: quand nous nous rencontrons, nous nous saluons. Pour moi ce fut un moment bien agréable quand un jour il m'a salué en disant: "Comment vas-tu, mon ami?"…Être ensemble comme vendeurs ambulants crée une solidarité, une proximité, une compréhension, parfois une amitié entre ces gens du pays et ce gringo.

Quand des membres de ma famille vinrent me visiter, j'eus une expérience qui m'a fait beaucoup réfléchir. Je les ai accompagnés un jour à la Cancha pour leur montrer mon lieu de travail. Alors que je marchais dans les ruelles du marché, beaucoup de mendiants m'ont demandé l'aumône; normalement cela ne m'arrive jamais. Je me suis rendu compte que normalement les gens de la Cancha me voyaient comme un vendeur pauvre. Sans ma caisse de yaourt, les gens me voyaient comme un touriste…

La manière d'être présent change le regard, le comportement et les relations. Pour entrer en relation d'amitié et de solidarité nous devons partager la manière de vie des autres. Dieu n'est pas venu en touriste visiter le monde; il a partagé la condition humaine en tout. Le Créateur voit le monde avec les yeux de la créature et ceci change son regard! Ainsi il peut ressentir avec nous et compatir à notre destin.

 La “Cancha” est aussi un reflet de la situation des pauvres (les riches font leurs achats dans les supermarchés). Beaucoup de vendeurs attendent tout le jour et ne vendent rien

Vendeuse                      Sur une toile bien colorée

La paysanne est assise en tailleur

Avec les yeux opaques et sans couleur

Devant elle

Quelques pommes de terre

Ou des brindilles de camomille

Elle vend son rien

Et offre avec ses mains vides

Sa précarité

Elle pourrait vendre sa pauvreté!

Mais elle ne rencontre pas de clients.

De la précarité, il y a abondance

Après la vente, je retourne à la maison et dans l'après-midi je vais au foyer  où je travaille comme volontaire. 140 garçons (de 7 à 16 ans) y vivent . Certains ont vécu auparavant dans la rue, d'autres ont fui leur famille à cause de la violence… Au foyer vit un garçon de notre quartier qui s'appelle Edwin. Ses parents se sont séparés: il est resté avec son père et la famille de la sœur de son père. Edwin a vagabondé et a commencé à voler. Alors ses oncles l'ont attaché avec une chaîne. Quand on m'a informé de cela, j'ai été à la maison d'Edwin; j'ai parlé avec son père et ses oncles. Cette famille est si pauvre qu'il n'y avait pas assez de nourriture pour leurs 9 enfants et pour Edwin. J'ai proposé de demander au foyer s'ils pouvaient accueillir Edwin. Ce fut possible et Edwin maintenant est au centre. Cependant par la suite son père et la famille de ses oncles ont déménagé sans l'avertir et sans lui dire adieu. J'ai aidé Edwin à chercher des nouvelles de sa famille… Mais personne ne savait où ils étaient allés…De temps en temps, Edwin vient chez nous. Je souhaite que nous puissions lui offrir un accueil de famille, pour qu'il ait des grands frères et qu'il puisse découvrir qu'il a un Père qui ne l'oublie jamais.

Aux enfants, le centre offre un toit, le repas et la possibilité de suivre des études. Il y a aussi des ateliers (agriculture, mécanique et métaux, menuiserie…) pour la formation des garçons; je les aide un peu à l'agriculture. Je fais jouer aussi les plus petits et j'ai un groupe de plus grands pour la catéchèse. Le centre est un désert affectif. Il manque aux enfants une famille, la tendresse d'une mère, la figure du père… C'est un reflet de la pauvreté du pays et de la misère de beaucoup de familles. Dans celles-ci il y a beaucoup de violences et de manques d'affection: à cause de cela ces garçons vont à la rue et vivent au centre. Cette violence est un cercle vicieux: les mères battent leurs enfants, les pères violent leurs filles. Quand les enfants sont adultes, ils vont répéter ces mêmes conduites. L'expérience de la souffrance et de la vengeance continue sans cesse inconsciemment….

Après mon service au centre, je reviens à la fraternité. Le mardi et le samedi nous célébrons la messe avec nos voisins et quelques amis. Quelquefois viennent aussi des enfants du centre. A l'Eucharistie à la fin du jour, nous faisons souvenir de nos expériences et nous les posons dans la patène. Nous partageons ce que nous avons vécu tout le jour et nous recevons ce que le Christ nous partage: sa présence universelle, dans tous les détails de la vie quotidienne. A la fin de la messe nous offrons toujours une boisson chaude aux gens. Après le départ de nos voisins, notre maison reste silencieuse. Le silence de la nuit me plaît. Je peux réfléchir, lire, écrire et repasser une autre fois les images du jour. Avec le cœur plein d'évènements je me remets au Seigneur et au sommeil.

 

 

 

[1] Traduction littérale: de la vache à la bouche.