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Diaire de Yves
(Fraternité de Spello, Italie)


Yves
    Pour nous, vivre à Spello aujourd'hui, cela veut dire vivre entre continuité et rupture.
C'est toujours la même histoire qui continue, même si les acteurs ont changé soit du coté de la fraternité, soit du côté des amis dont certains sont déjà partis.
L'insertion semble la même, parce qu'il y a toujours autant d'oliviers dans ce paysage magnifique et pacifiant. Et pourtant il y a des changements aussi bien dans la vallée de la Chiona que dans notre petite ville de Spello. Ce sont certes les mêmes familles, mais les amis des débuts vieillissent ; encore quelques années et il n'y aura plus de paysans en activité dans la vallée ; ils seront tous des paysans retraités, mais les oliviers continueront à être un pôle important de leurs activités… et ils continueront jusqu'au bout, parce que l'olivier est chargé de toute une symbolique, d'attente, de noblesse et de patience.
Nous commençons à penser à cette nouvelle situation, car ce sera alors une question aussi pour nous. Ces amis paysans sont encore, comme ils l'ont été, partie prenante importante du projet d'accueil, en offrant la possibilité de faire l'expérience du travail de la terre à beaucoup de nos hôtes. Mais qu'est-ce qu'il en sera dans quelques années ?

    Les jeunes sont attachés à la terre, mais elle ne permet plus de vivre
de son travail. La "politique agricole commune" donne priorité et attention aux "grands", aux capitaux, aux sociétés, en oubliant les "petits" qui continuent une activité familiale, respectueuse de l'environnement et des consommateurs. "On ne peut même plus tuer le cochon chez soi, maintenant il faut payer et aller à l'abattoir public", nous disait dernièrement un ami, alors qu'il s'agissait d'une tradition sacro-sainte toute chargée d'histoire, c'était la récompense finale de nombreuses privations et de gros sacrifices !

    Leurs enfants et petits-enfants nous connaissent certes, mais comme
souvent ils n'ont pas leurs activités dans la région, on ne les rencontre qu'épisodiquement; ils montrent de la sympathie, mais ne semblent pas particulièrement attirés, comme leurs parents, par ce qu'on vit et propose ! Leurs histoires ne rencontrent plus la nôtre, et les centres d'intérêts semblent différents.
Par contre on connaît de nouveaux amis ; de nouveaux visages se font voir en fraternité!

    Encore, continuité et rupture !

Le tremblement de terre de 1997 a été un tournant pour tout le
monde ; c'est incroyable comme il a pu influencer les comportements, les relations, les habitudes. Il a provoqué ou révélé un changement, un passage. "Une époque s'est terminée avec lui et une autre a commencé", nous disent beaucoup de gens ! En effet, souvent on continue à rêver de l'avant tremblement de terre.

    Continuité et rupture, là aussi !

Dans les premières années après le tremblement de terre, beaucoup d'ermitages ont été repris par leurs propriétaires, surtout ceux qui étaient plus proches du village !
Là aussi, il y a eu rupture et continuité !

    Continuité et rupture à nouveau, au niveau du projet de fraternité qui
continue à être attentif à l'accueil, mais pas exclusivement et pas à temps plein : si on a laissé "San Girolamo"(7) ce n'était pas pour renier notre histoire, mais pour trouver un nouveau "visage" comme fraternité d'aujourd'hui, répondre à notre "projet commun" de fraternité, répondre à ce que chacun de nous est : histoire, tempérament, sensibilité et dons. Mais c'était aussi pour vivre la fraternité plus dans une dimension de vie de famille et dans une
maison ordinaire.

    L'accueil maintenant est plus personnalisé, contenu dans des
périodes choisies ; un accueil qui correspond à ce que chacun de nous est et porte en lui-même ; un accueil qui cherche à se diversifier pour chercher à être plus attentif aux réalités du monde d'aujourd'hui, à ses pauvretés : nous organisons une semaine pour les personnes qui sont en communauté de désintoxication de drogue ou d'alcool; une semaine pour des jeunes familles… et on a encore d'autres idées en tête. L'accueil n'est pas l'unique réalité de notre "projet commun", c'est un aspect de notre vie, même si une grande partie de notre vie tourne autour de ce mot, parce que ça nous demande du temps, de la préparation ensemble qu'il faut gérer, et être attentif aux ermitages qu'on a encore. On a voulu donner tout son poids au "vivre ensemble", sans prétention, car chacun est bien conscient de ses propres limites et de celles de l'autre !

    Si on a défini des temps, des périodes pour l'accueil, si on a cherché
à diversifier "l'offre", c'est pour chercher à mieux équilibrer et notre vie personnelle et celle de la fraternité, et aussi pour donner du temps aux relations de voisinage, à l'insertion.
Groupe Spello
    Une dernière nouvelle d'actualité. Après avoir bien réfléchi et soupesé la chose, nous avons décidé de rendre habitable toute l'année "Santa Chiara" et de l'agrandir, car cet ermitage a été donné désormais à notre Association. Nous en sommes seulement à la phase des permis et des autorisations, mais on espère que les travaux pourront commencer bientôt.

* * *

7) San Girolamo est l'ancien petit couvent franciscain où la fraternité de Spello était établie jusqu'au tremblement de terre.