Premier centenaire du séjour de


Charles de Foucauld

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à l’Assekrem


Juillet / décembre 1911- 2011


Ermitage


Choix du lieu


Une année environ après mon arrivée à Tamanrasset, je me demandais déjà s’il ne me faudrait pas m’installer ailleurs… Et donc je pensais profiter de la tournée avec Motylinski, pour envisager des nouveaux emplacements. Malheureusement près d’ Abalessa, le 11 août 1906, « j’ai été piqué par une vipère » et j’ai dû m’immobiliser, tandis que Motylinski continuait l’expédition : Ilaman, Tazrouk… et à son retour il « me cite – cinq lieux- comme bons emplacements d’ermitages dans la Koudia ».

En fait, ce sera l’Assekrem qui l’emportera, indiqué deux ans plus tard par mon ami Laperrine. Début juillet 1908, il me parle avec enthousiasme de «l’Atakor, comme le cœur du pays Ahaggar… le plateau de l’Assekrem en occupe à peu près le centre et domine la région» . C’est alors la première fois que j’entends ce nom de l’Assekrem…

Au début de l’année 1909, je fais mon premier voyage en France pour la mise en marche de « l’union des Frères et Sœurs du Sacré Cœur de Jésus » et je parle à l’Abbé Huvelin de l’éventualité d’établir « deux autres ermitages en pays touareg, destinés à me mettre en relation avec les tribus que je ne vois pas à Tamanrasset. » Il « me conseille de les établir » et même il « m’avait donné 200 francs pour aider à la construction. » Mais ce n’est qu’à mon retour de France que l’opportunité m’est donnée de visiter ce lieu exceptionnel. En effet « j’ai accompagné Laperrine de Tarhaouhaout à Idélés… le 12 septembre, nous nous séparons, et le 15, avec un guide, je gagne l’Assekrem ». C’est le jour de mon anniversaire, 51 ans. Dès lors, « je me prépare à installer (l’un de ces) deux autres ermitages en pays touareg, comme m’y a engagé notre Père (l’Abbé Huvelin)… pour prendre contact avec d’autres tribus que je ne vois pas ici ».

Et si j’avais alors encore quelques doutes, ce furent mes amis, Nieger, Sigonney, et le Dr Hérisson, qui connaissent bien l’Assekrem qui me poussent à ce choix.


Construction

Tout se précipite… J’ai chez moi des ouvriers venus d’In Salah pour la construction du Fort Motylinski et « de bons amis m’offrent de me les prêter… c’est une occasion qui ne se représentera peut-être pas et dont je crois bon de profiter ! »  Ce sont ces mêmes ouvriers, qui le 17 mai 1910 sont au travail à l’Assekrem… et le 16 juillet, les travaux sont terminés.


Le choc

ChapelleCe même jour, j’écris à ma cousine : « … mon ermitage de l’Assekrem est non seulement commencé mais fini… je me partagerai à l’avenir entre l’Assekrem et Tamanrasset… J’y aurai aussi à la fois l’avantage de pouvoir voir beaucoup d’âmes, et d’être très solitaire sr mon sommet ». Mais, pour moi ce fut un grand choc quand j’ai reçu la facture des travaux : 1700 francs ! Embarassé, je m’explique longuement à ma cousine : « j’ai recours à vous pour ma maison de l’Assekrem, dont le prix a dépassé de beaucoup les prévisions… Je comptais qu’elle coûterait 400 à 500 francs… (mais) quand on a commencé les travaux, l’eau voisine a été insuffisante (à Tinseghine), on a dû aller en chercher plus loin (à Afilale)… on a estimé que cela porterait le prix à 800 francs, mais cela a dépassé beaucoup ce chiffre. Cela a coûté finalement 1700 francs. Jamais je n’aurais fait cette construction, si utile qu’elle soit, si j’avais prévu ce prix. » Et pour apaiser ma cousine je lui assure que je ne ferai pas les deux autres ermitages que j’avais l’intention de faire… Pardon, ma chère mère, vous savez que si je me suis trompé, j’ai cru, du moins, faire pour le mieux… et (cela) sur l’avis formel de notre père (l’abbé Huvelin) et elle (cette construction) est modeste. 

Le 2 janvier 1911, j’entreprends mon deuxième voyage en France avec le triple but de rencontrer mon nouvel évêque à Alger nommé après la mort de Mgr Guérin, de faire avancer le projet de l’Association, et de faire l’impossible pour trouver un compagnon. De retour à Tamanrasset le 3 mai et j’ai hâte de monter à l’Assekrem : « dans 10 jours, environ je m’installerai dans votre maison de campagne de l’Assekrem ». En réalité, je ne monte que le 4 juillet : « je pars de Tamanrasset avec Ba-Hammou, Ouksem ag Chikâ, Isoua et Oua-n-Agouda ».

J’amène ravitaillement, livres et manuscrits « comme quelqu’un qui entreprend en mer un voyage de 16 mois sans devoir relâcher à aucun port ».

Nous sommes arrivés le 16 juillet, «… par la pluie, le tonnerre et les éclairs… j’ai peine à détacher mes yeux de cette vue admirable, dont la beauté et l’impression d’infini rapprochent tant du Créateur…»16.


Déception

Il faut bien me rendre à l’évidence : « les environs sont pleins de monde quand il y a des pâturages, mais en ce moment règne une extrême sécheresse qui a fait le vide, jusqu’à 35 km à la ronde. » « L’extrême sécheresse a chassé les voisins, ils ont été chercher des pâturages à une trentaine de km ».

Moi qui avais voulu cette construction surtout pour la rencontre et le contact, pour me tenir en relations tout à fait au cœur du pays pour mieux prendre contact avec les nomades que je ne vois pas à Tamanrasset… et voilà le vide !!


Le séjour à l’Assekrem

Je savais que l’Assekrem était « un beau lieu pour adorer le Créateur », dans « ce grand calme… qu’il fait bon élever le cœur vers le Créateur et le Sauveur Jésus »…d’ailleurs c’est le refrain que j’écris à presque tous mes amis, mais je ne m’attendais pas à découvrir deux avantages majeurs dans cette situation :

  • « l’extrême sécheresse … me laisse tout mon temps pour travailler à ces études de langue touarègue »
  • « On ne vient guère dans ce milieu isolé sans prendre un repas ou passer la nuit… dans ces conditions la connaissance se fait bien »

L’étude de la langue

« … Je profite de la solitude pour travailler beaucoup » « sans être dérangé ». « Pour travailler, je suis bien aussi, car il n’y a pas ce grand nombre de petites visites insignifiantes qu’on a dans un lieu habité… » « Il me suffit de faire 500 m pour voir le soleil se coucher… je ne fais guère cette promenade en ce moment, à mon regret, donnant tout ce que je puis comme travail pour les travaux touaregs. »

Ciel Assekrem

« la solitude de mon ermitage de l’Assekrem (est) propice au travail »,
ainsi « ma vie se poursuit , très simple, les jours se ressemblent
je suis très occupé de mes travaux de langue touarègue… »


Dictionnaire  1Dictionnaire 2

Rencontres – contacts

« … A cause de la sécheresse, les campements sont en ce moment éloignés ; comme les visiteurs viennent d’un jour, d’un jour et demi, deux jours de distance, ils passent ici la fin de la journée et y couchent… un ou deux repas pris ensemble mettent en relation plus étroites qu’un grand nombre de visites d’une demi-heure ou d’une heure comme celles de Tamanrasset ; de ce côté l’ouvrage qui se fait ici est très bon... »

« Je me trouve très bien sur ma montagne de l’Assekrem, c’est un lieu excellent pour la prise de contact… comme en ce moment les campements sont loin par suite de la sécheresse, force est aux visiteurs de prendre ici un ou deux repas, de se reposer, de passer la nuit, ce qui fait qu’on fait bien connaissance avec eux. Je suis donc très content de m’être établi ici. » « Dans cette solitude, les relations de voisinages deviennent des amitiés très étroites. »

« La solitude est en même temps de grands avantages pour les relations avec les Touaregs : quand on vient ici, on ne peut partir tout de suite, il faut se reposer, manger, passer la nuit, et cela établit vite des relations très amicales… on voit moins de monde que dans les centres, mais on fait tellement mieux connaissance avec eux… »

« Un ou deux repas pris ensemble, une journée ou une demi-journée passée ensemble, mettent en relation plus étroites qu’un grand nombre de visites d’une demi-heure ou d’une heure comme à Tamanrasset. »


L’heure du bilan

Pas mal de gens pensent que mon séjour à l’Assekrem a été pour moi presqu’un échec : un court séjour où il n’a rencontré que très peu de monde. En réalité, pas du tout ! Comme je vous l’ai expliqué, j’avais écrit à ma cousine : « Jamais je n’aurais fait cette construction si utile qu’elle soit, si j’avais prévu… (son prix), (1700 francs ) ». Et bien j’ai changé d’avis : « je suis très content des cinq mois que je viens d’y passer ; j’y ai lié non seulement connaissance mais amitié… »

« … Je suis très content de ce bel ermitage… », « enchanté de toute manière de cette résidence, la plus belle du monde… » « L’Assekrem m’a fait prendre bien mieux contact avec les Touaregs… » « Je suis charmé du séjour que j’ai fait à cet Assekrem. »


Départ de l’Assekrem. Propos sur Ba-Hammou

Le 13 décembre 1911, après avoir écrit mon testament , j’ai quitté l’Assekrem avec regret après y avoir vécu des choses très belles, mais « mon informateur touareg » n’en pouvait plus, et moi aussi j’ai craqué. C’est vrai que Ba-Hammou m’énervait souvent, et à ce sujet j’ai écrit : « Ba-Hammou geint tellement, se plaint tellement de son cœur, de sa poitrine, de tout..que je le laisserai probablement rentrer à Tamanraset dans le courant de décembre ». Mais à dire vrai, sans lui je n’aurai jamais pu effectuer mon travail linguistique… et moi aussi j’ai bien fini par tomber malade par excès de travail et manque d’équilibre alimentaire. Déjà le 25 novembre j’écrivais à Mme Dubois : «  je suis surchargé de travail ». Et 10 jours après à ma cousine : « … j’ai depuis avant-hier un peu de refroidissement … je le suivrai à Tamanrasset. Je suis un peu à bout de forces, par suite de manque complet de nourriture fraiche… à Tamanrasset je trouverai des œufs et des légumes qui m’en rendront. Je vieillis. »

Sûrement j’ai manqué de sagesse : par exemple, me permettre de faire chaque jour une petite promenade… « de 500 m pour voir le soleil se coucher » et me permettre une alimentation plus variée : « Je sais faire ce qu’il me faut de cuisine, en regrettant de n’avoir pas pris quelques leçons de cuisine dans ma jeunesse… »

En fait donc, il m’a fallu me rendre à l’évidence : « … cette petite fatigue n’était ps, comme je l’ai cru d’abord, un refroidissement, mais de la fatigue causée par un excès de travail… Je ne le reprendrai qu’après le Jour de l’an. »

Ainsi je suis revenu à Tamanrasset le 15 décembre 1911.


Nostalgie

Comment pourrai-je vous cacher une certaine nostalgie ? L’Assekrem me manque : c’était « une vraie douceur d’habiter l’Assekrem, avec sa si belle nature, ses grands horizons et son grand vent »… « Je regrette la solitude de l’Assekrem où aucun bruit humain ne monte jusqu’à moi » .« Ci-joint la photographie de mon ermitage de l’Assekrem ; on ne se doute pas… que de ses fenêtres la vue est admirable… Il est au sommet et le paysage s’étend à ses pieds ».

Arc en Ciel

J’avais pensé y passer printemps et été, et les hivers à Tamanrasset. « … au début du printemps, je retournerai, pour y rester jusqu’à l’hiver dans mon ermitage solitaire de l’Assekrem ». « … A l’avenir je passerai probablement mes étés, non à Tamanrasset mais à l’Assekrem. Ici en juin et juillet, je n’ai pas été bon à grand-chose comme travail. »

Mais en fait, je ne suis retourné que deux fois à l’Assekrem, début février et fin août 1912, pour ramener des appareils météorologiques, et quand le 3 septembre 1914, la guerre mondiale a débuté, j’ai bien compris que l’Assekrem, c’était fini pour moi jusqu’à la fin du conflit…


Appendice

Vous savez bien que je n’ai vécu que 5 mois à l’Assekrem, de juillet à décembre 1911. Alors aujourd’hui, en ce premier centenaire, je voudrais d’abord rendre grâce à Dieu, pour tous ceux qui, par des séjours plus long que les miens, ont fait que l’Assekrem soit un lieu vivant où chaque jour « l’Eucharistie est célébrée en ce lieu, longtemps après ma mort. », où tous les jours mon « Bien-aimé, frère et Seigneur Jésus » est adoré. Lieu qui est devenu privilégié pour la rencontre, l’accueil et les retraites… ainsi se réalise mon rêve, d’être « frère universel » vu la diversité des gens qui passent ici…

Assekrem Freres

Merci !

Merci à tous les frères qui ont rendu possible et effective cette continuité.

Et en marche maintenant pour le deuxième centenaire…

Meharee

De Ventura, Petit Frère de Jésus vivant à l’Assekrem.

Texte avec Notes PDF



Aube